Ce que les meilleurs projets IA ont en commun : un bon cadrage
Les projets IA qui ratent, ce n’est pas à cause du modèle. C’est à cause du cadrage.
Parfois, ce n’est pas la technologie qui dysfonctionne. C’est ce qu’on lui demande.
À mesure que l’intelligence artificielle — et sa cousine flamboyante, la GenAI — s’impose dans les feuilles de route des entreprises, une tendance inquiétante se confirme : un trop grand nombre de projets échouent sans que personne ne remette en cause les décisions initiales. Car l’ennemi n’est pas l’algorithme. L’ennemi, c’est le flou stratégique.
Le mirage technologique : IA comme fin en soi
Il y a dix ans, l’automatisation promettait la fin des tâches répétitives. Aujourd’hui, l’IA promet l’augmentation généralisée des capacités humaines. Entre ces deux âges, une constante : l’euphorie technologique.
Dans de nombreuses entreprises, la GenAI n’est plus une opportunité mais une injonction. Il faut “faire de l’IA”, “lancer un POC”, “tester un modèle”. La pression vient de partout : concurrents, actionnaires, consultants, directions générales.
Mais dans ce feu d’artifice d’expérimentations, une question simple est trop souvent éludée : à quel problème essaye-t-on de répondre ?
Quand les modèles sont prêts… mais pas les questions
Les grands modèles de langage, les outils de vision, les moteurs de recommandations sont disponibles, puissants, souvent open source. On peut aujourd’hui générer, classer, résumer, transcrire, traduire avec une facilité déconcertante.
Mais les projets capotent non pas à cause d’une limite technique, mais à cause d’un malentendu de fond : les entreprises attendent des réponses sans avoir formulé la bonne question.
“On a entraîné un modèle pendant trois mois, mais les métiers ne l’utilisent pas.”
“Les résultats sont moyens, mais on ne sait pas très bien ce qu’on attendait au départ.”
“On pensait que ça remplacerait un process, mais en fait ça en a rajouté un.”
Ce ne sont pas des cas isolés. Ce sont des signaux faibles d’un phénomène systémique : le cadrage des projets IA est devenu le maillon faible de l’innovation.
Le cadrage : discipline oubliée de l’ère GenAI
Dans la culture des ingénieurs, on a longtemps opposé le développement et le cadrage. L’un est technique, l’autre stratégique. Mais dans les projets d’IA, cette frontière est artificielle. Cadrer, c’est déjà modéliser : les besoins, les contraintes, les points de friction, les critères de succès. Et sans ce travail amont, le meilleur modèle devient inopérant.
Or, dans la majorité des entreprises, le cadrage IA est souvent bâclé ou délégué. Pire : il est parfois absent. Le projet émerge “par opportunité” (une techno, une subvention, un partenaire) sans que personne n’ait pris le temps de documenter l’irritant métier réel, la valeur business attendue, ou les effets de bord possibles.
Le biais de la facilité : trop d’IA pour trop peu de problèmes
Ce qui rend l’IA si séduisante, c’est sa souplesse. Elle sait tout faire — du moins en apparence. Mais c’est justement là que réside le piège. En rendant tout possible, elle rend tout envisageable… et donc tout flou.
Beaucoup de projets se lancent avec un flou lexical total : on veut une IA “pour fluidifier le parcours client”, “pour automatiser l’interne”, “pour mieux piloter la donnée”. Ces intentions sont nobles. Mais elles sont vides tant qu’on n’a pas défini qui, quoi, où, pourquoi, et jusqu’à quel seuil de complexité.
Ce n’est pas parce qu’un problème peut être résolu par IA qu’il doit l’être.
Les effets délétères d’un cadrage mal conduit
Un cadrage approximatif a des effets en cascade :
Sur l’usage : l’outil n’est pas adopté car il ne colle à aucun besoin réel.
Sur la performance : le modèle déçoit car il a été entraîné pour une tâche mal définie.
Sur l’organisation : la gouvernance est floue, les rôles sont flous, les attentes sont floues.
Sur la confiance : le projet alimente la défiance (“encore une lubie tech”) et grève le crédit futur de l’innovation IA.
Paradoxalement, ces échecs n’alertent pas toujours les dirigeants. Car la GenAI, avec sa capacité à “faire illusion”, produit des démonstrateurs séduisants, des prototypes impressionnants… mais parfaitement inutiles en production.
Revenir au sens : de la technologie à l’intention
Cadrer un projet IA, ce n’est pas remplir un template de consulting. C’est faire un effort d’intentionnalité. C’est poser des questions de fond :
Quel est le vrai problème que je veux résoudre ?
Quelles sont les frictions actuelles que l’IA peut lever ?
Qui va en bénéficier, et comment ?
Est-ce le bon moment pour lancer ce projet ?
Y a-t-il une solution plus simple, plus robuste, plus “low-tech” ?
Quelles sont les conséquences d’un modèle partiellement fiable ?
L’IA est une force d’amplification. Elle accélère, augmente, fluidifie. Mais si elle s’applique à un raisonnement erroné, elle le rend plus dangereux encore.
Cadrer, ce n’est pas ralentir. C’est sécuriser.
Dans un monde où l’IA devient un levier stratégique, le cadrage n’est plus une formalité. C’est un garde-fou. Un révélateur de maturité. Une manière de s’assurer que la promesse technologique ne vient pas court-circuiter la logique métier.
Les entreprises qui réussissent leur virage IA ne sont pas celles qui maîtrisent les meilleurs modèles. Ce sont celles qui savent dire non à certains projets, pour mieux en réussir d’autres.
Elles ne “font pas de l’IA”.
Elles résolvent des problèmes réels, avec les bons outils, au bon moment.